Il serait faux de penser que la frontière sert à nous séparer des autres de manière indistincte. Tout comme la lecture, les frontières ont un sens à suivre. Et dans le cas d’Haïti, la frontière a permis de circonscrire la première république noire et de créer une terre où les Noir-es et l’universalisme seraient implantés au milieu d’un continent esclavagiste. Ces frontières servent et protègent les autres de nous. Les autres, c’est-à-dire ceux qui nous sont géographiquement les plus proches : la République dominicaine, les pays de la Caraïbe, de l’Amérique du Sud et les Etats-Unis, mais aussi les plus lointains : le Canada et les pays de l’Europe.
C’est parce que la délimitation de la frontière est extensible et qu’elle dépend du bon vouloir des autres qu’elle ne commence pas sur leurs territoires mais en Haïti (ou dans les pays semblables) : donnée biométrique, fichage de demandes de visa, ouverture et fermeture des frontières.
Tout comme les frontières internationales permettent de séparer les autres de nous, les frontières internes nous séparent des autres : elles se matérialisent dans l’espace public par des barrières installées devant les maisons ou les quartiers afin de les “protéger” ; par des voitures aux vitres teintées, des écoles de première, seconde et huitième zones. A l’instar des frontières internationales, les frontières internes peinent à être dissuasives, pire encore, leur inefficacité est chaque jour un peu plus flagrante dans la rubrique“ insécurité et fait divers”.
“Do not come”(Ne venez pas) a martelé la vice-présidente états-unienne Kamala Harris quelques mois après son investiture. Le changement d’administration n’a aucunement amélioré le sort des migrant-es haitien-nes. Ils représentent 40% des familles détenues dans les prisons pour migrants, appelées“centre de rétentions administratives”, dans la novlangue technocratique. Il est placardé : “interdit de passage”, au détour d’une impasse avant d’accéder à un quartier résidentiel. Alors que nous sommes contraints de respecter les frontières, les limites et les séparations, nous sommes également enjoints à ne pas réclamer nos droits concernant notre sécurité physique et morale à la frontière. Manman-papa, poto-mitan, fanm vanyan, madan Sara, autant de figures sacrifiées pour étendre le domaine illimité de l’absence de frontière et la persistance de la non/frontière. Dans ce cas, la frontière est justifiée et légitime lorsqu’elle est produite par notre proximité avec un père, un compagnon ou après avoir accompli nos devoirs et accéder au statut de manman pitit.
Ce second numéro de Alaso, porte sur la non/frontière comme espace de transformation, qui, loin de se situer en périphérie, constitue l’épicentre de la sphère sociale et politique, en organisant le sens des rapports de pouvoir et de domination, en récompensant celles et ceux qui s’assurent du maintien de ces non/frontières, et en punissant pour celles et ceux qui les abolissent/franchissent.
Nous souhaitons offrir dans ces pages quelques pistes de réflexion féministes sur la frontière / non/frontière.
Ce nouveau numéro renouvelle notre engagement féministe auprès du projet idéologique que porte la nation haïtienne : la liberté, la justice et l’égalité.
Nègès Mawon
En Haïti, l’édition créole haïtien /français est disponible à la librairie La Pléiade à Port-au-Prince, Cap-Haitien, Jérémie
En France, Belgique, Suisse et au Québec l’édition créole haïtien/français est disponible dans vos libraires. Si vous êtes à Montréal vous avez des grandes chances de le trouvez en rayons dans les libraires Racines et l’Euguelionne.
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